La recherche en psychanalyse à l’Université vise-t-elle la vérité ? À partir
de l’exemple des recherches récentes sur le crime des sœurs Papin, en parti-
culier celles de Gérard Gourmel2, et du doute qui se dégage sur les faits et le
diagnostic, on peut se demander quelle est la vérité d’un crime ? La recherche
en psychanalyse à l’Université est-elle un crime ? Où est la vérité ?
Depuis quatre ans que je suis Maître de conférences à l’Université Paris 7-
Denis Diderot à l’UFR de Sciences Humaines Cliniques, je vis une expérience
passionnante et enrichissante sur le plan de l’enseignement et de la recherche.
Dans mon cabinet, j’essaye d’être analyste avec mes patients depuis 26 ans,
et mon expérience de réunions cliniques à la Maison de la Mère et de l’Enfant
à Paris depuis 20 ans est également fondamentale dans ma pratique3. Dans
LA RECHERCHE DE LA VÉRITÉ EN PSYCHANALYSE ET LA SITUA-
TION ANALYTIQUE
La recherche en psychanalyse à l’Université vise-t-elle la vérité ? À partir
de l’exemple des recherches récentes sur le crime des sœurs Papin, en parti-
culier celles de Gérard Gourmel2, et du doute qui se dégage sur les faits et le
diagnostic, on peut se demander quelle est la vérité d’un crime ? La recherche
en psychanalyse à l’Université est-elle un crime ? Où est la vérité ?
LA RECHERCHE DE LA VÉRITÉ EN PSYCHANALYSE ET LA SITUA-
TION ANALYTIQUE
Depuis quatre ans que je suis Maître de conférences à l’Université Paris 7-
Denis Diderot à l’UFR de Sciences Humaines Cliniques, je vis une expérience
passionnante et enrichissante sur le plan de l’enseignement et de la recherche.
Dans mon cabinet, j’essaye d’être analyste avec mes patients depuis 26 ans,
et mon expérience de réunions cliniques à la Maison de la Mère et de l’Enfant
à Paris depuis 20 ans est également fondamentale dans ma pratique3. Dans
mon enseignement, j’essaye de sensibiliser les étudiants à la psychanalyse
en leur donnant des repères cliniques et psychopathologiques et une certaine
ouverture culturelle. Nous ne formons pas des analystes, mais des psycho-
logues cliniciens. J’appelle espace analytique ce qui est commun aux différentes
situations analytiques, et cela n’est pas lié à des personnes. La situation analy-
tique permet à la parole de passer, traverser, de ne pas se figer sur place, de se
décongeler. La’avôre, en hébreu signifie « passer, traverser », d’où Ivrite,
l’hébreu (langue). Une oreille, beaucoup d’oreilles, des antennes, paraboliques
ou pas, sont là dans la situation analytique. Il y des situations analytiques et
la psychanalyse est traversée par un processus langagier et historique depuis
son début dans le Préanalytique4 qui ne se réduit ni à Freud ni à Lacan, ni à
aucun personnage de la psychanalyse et de son histoire. Le préanalytique, ce
sont des situations analytiques. Il y a des animaux que Freud étudie parce que
ce sont des hommes. Et comme vous le savez les hommes sont des animaux,
sinon on le saurait.
Rappelons que pour Goffman dans La mise en scène de la vie quotidienne,
la situation analytique est une collusion qui engendre une relation5. Les situa-
tions ordinaires engendrent des coalitions collusoires. Et il ajoute dans Les
cadres de l’expérience, que les conventions qui régissent une séance de psycho-
thérapie ouvrent des brèches dans le cadre des échanges ordinaires de face à
face6. Il y a un malaise dans l’interaction7, dans le transfert, dans la psycha-
nalyse. C’est le transfert au malaise, c’est la situation analytique. Elle est
menacée d’être interrompue sans arrêt, et pas seulement par les coups de fil que
les analystes reçoivent, par les mails qui sonnent, car comme le dit Goffman :
«Ce que réclame une bonne interprétation, c’est qu’on l’entende pour la
première fois, non qu’on la raconte pour la première fois» 8, ce qui compte c’est
l’illocutoire dont parle Austin dans Quand dire, c’est faire 9 : « Il s’agit d’un acte
effectué en disant quelque chose, par opposition à l’acte de dire quelque chose ».
LE CRIME DES SŒURS PAPIN : LE DOUTE ET LA VÉRITÉ
La recherche de la vérité est-elle l’objet de la recherche en psychanalyse à
l’Université ? Je prendrai pour essayer de répondre à cette question l’exemple
du crime des sœurs Papin. En mars 2001, j’étais assis comme souvent au Tea
Follies, Place Gustave Toudouze, dans le IXe arrondissement à Paris, près de
mon cabinet. J’entends deux hommes parler des sœurs Papin. Je leur adresse
la parole. J’avais deviné que l’une de ces personnes était un journaliste et l’autre
un cinéaste. Il s’agissait de Gérard Gourmel, ancien chroniqueur judiciaire, et
de Claude Ventura 10, un cinéaste. J’ai proposé à Gérard Gourmel de venir faire
une conférence à mes étudiants. Le problème de la vérité en Sciences Humaines
est en psychanalyse est essentiel. Où est la vérité dans les Sciences Humaines ?
Au cours de la conférence, j’ai raconté comment j’avais rencontré Gérard
Gourmel. L’Amphi a paru douter de ce que je disais, et Gérard Gourmel a
raconté que nous nous étions rencontré en Fac il y a longtemps. Les étudiants
ont eu l’air d’y croire. C’était un mensonge, et ils ne reconnaissaient pas la
vérité. À moins que la vérité ne soit liée aux circonstances. J’ai eu l’occasion
d’inviter Gérard Gourmel à mon cours de DEUG 1 d’Introduction générale
aux Sciences Humaines11, après d’autres conférenciers12 dans ce cours que
j’aime beaucoup ainsi que celui de DEUG 1 U2, «Méthodologie générale.
Objets et méthodes dans le champ des sciences humaines. »
LE CRIME DES SŒURS PAPIN : LES FAITS
Le soir du 2 février 1933, la police découvre le corps mutilé de la femme,
Mme Lancelin, et de la fille d’un notable du Mans, Geneviève. Une panne
d’électricité avait empêché Christine de terminer le repassage, à la suite de
quoi elle avait entraîné sa sœur dans le carnage. Elles avaient arraché les yeux
des victimes, puis tailladé leurs corps avec les ustensiles de cuisine. Les domes-
tiques de la maison sont arrêtées, Christine Papin (27 ans) la cuisinière, et
Léa (22 ans), la femme de chambre. Il y a des aveux tout de suite. Christine
et Léa sont originaires de la paysannerie pauvre, et elles ont passé leur enfance
à l’orphelinat du Bon-Pasteur, et ont voulu être placées ensemble chez leur
maître. Leur mère leur réclame sans cesse de l’argent. Christine a vainement
essayé de faire émanciper sa sœur à la mairie. Elles se sont alors plaintes d’être
persécutées. Le grand-père des sœurs Papin est mort épileptique, un de leurs
cousins est devenu fou, et un oncle s’est pendu dans sa grange. Le père a été
l’amant de sa fille aînée. Le fait divers est très médiatisé, et le débat à la Cours
d’assises de la Sarthe, le 29 septembre suivant est vif. L’expertise psychia-
trique conclut à la pleine responsabilité pénale des prévenues. Christine Papin,
condamnée à mort, puis graciée est incarcérée en Centrale, décédera en mai 1937
à l’asile d’aliénés de Rennes. Léa fera dix ans de travaux forcés, et subira une
interdiction de séjour de vingt ans. La presse de l’époque rejette dans ce crime
une manifestation de violence entre domestiques et maîtres, et trouve le crime
obscur.
Les trois cliniciens expérimentés (Schutzemberger du Mans, Baruk
d’Angers, Truelle de Paris) lors de la commission des faits rejettent la possi-
bilité d’un état de démence. Benjamin Logre, sans avoir le droit d’examiner les
deux sœurs posa un diagnostic d’anomalie mentale, engendrée par une hystéro-
épilepsie avec perversion sexuelle et idées de persécution. Les partisans de la
psychiatrie dynamique s’opposèrent aux théoriciens de l’hérédité, de la consti-
tution et de la simulation. Les deux sœurs dirent qu’elles n’avaient rien à
reprocher à leurs maîtresses. Christine, après cinq mois d’incarcération est
sujette à diverses syncopes et hallucinations. Elle se livre à des exhibitions
érotiques, se met en prière ou tente de s’arracher les yeux.
Pourtant la psychiatrie et la psychanalyse 13 ont reconnu la pathologie comme
la source de l’acte des deux sœurs. Le Dr Michel Dubec, en juillet 1992 au
moment de la reconstitution du procès Papin, au Palais de justice de Paris,
conclut à l’irresponsabilité pénale entière des accusées, fondée sur le diagnostic
de « délire à deux, première entité de la paranoïa ». Jacques Lacan y retrouve
l’homosexualité féminine, le délire à deux, le geste meurtrier en apparence
immotivé, la tension sociale, la paranoïa et l’autopunition. Il ruine le diagnostic
d’hystéro-épilepsie de Benjamin Logre. Seule la référence à la paranoïa permet
d’expliquer le passage à l’acte. Le délire semble surgir d’une panne d’élec-
tricité. Cette panne matérialise pour lui le silence qui s’était installé depuis
longtemps entre les sœurs Papin et leurs maîtresses. Le courant ne passait pas.
Le crime serait la mise en acte de ce non-dit. Le véritable motif du crime n’est
pas la haine de classe, mais la structure paranoïaque et l’autopunition, où le
meurtrier frappe l’idéal du maître qu’il porte en lui. L’homosexualité latente est
présente chez les deux sœurs. Christine se prend pour le mari de Léa et révèle
ainsi le phénomène du délire à deux, et la pulsion est dirigée vers deux autres
femmes dont l’une est la mère ou l’aînée de l’autre. Cinq mois après le crime
surgit un besoin d’autopunition quand Christine veut s’arracher les yeux, puis
au moment du verdict quand elle s’agenouille pour écouter la sentence de mort.
La castration se joue dans le fait de dénuder le sexe de Geneviève Lancelin, et
elles arrachent les yeux de leurs victimes.
Lacan irréalise le crime sans déshumaniser le criminel. Expliquer le crime,
ce n’est pas le pardonner, ni le condamner, ni le punir ou l’accepter : « ... seul
l’analyste peut démontrer contre le sentiment commun l’aliénation de la réalité
du criminel, dans un cas où le crime donne l’illusion de répondre à son contexte
social »14. Simone de Beauvoir 15 dans La force de l’âge, dit qu’avec Sartre, elle
pensait que dès que l’ordre social était en cause, ils étaient prompts à flairer une
mystification. La tragédie des sœurs Papin lui fut tout de suite intelligible sur
le plan social. Les maîtresses devaient susciter la violence des servantes par leurs
injustices : « ...les deux sœurs s’étaient faites les instruments et les martyres
d’une sombre justice. » Elle insiste sur l’homosexualité des sœurs : « ...Les
journaux nous apprirent qu’elles s’aimaient d’amour, et nous rêvâmes à leurs
nuits de caresses et de haine, dans le désert de leur mansarde. » Pourtant, elle
reconnaît que « l’aînée était atteinte d’une paranoïa aiguë, et la cadette épousait
son délire ». Sartre et elle s’indignent quand les psychiatres les déclarent saines
d’esprit. Pour eux, l’assassin n’est pas jugé, il sert de bouc émissaire, exactement
comme dans le procès de Gorguloff, qui avait tué le Président de la République,
Paul Doumer, et qui demande à être exécuté en 1932.
UN CRIME « PAS POSSIBLE », SANS TÉMOIN
Dans sa conférence Gérard Gourmel dit que systématiquement les auteurs de
crimes ont été déclarés responsables. La psychiatrie penche du côté de la justice,
et il n’y a pas d’erreur de diagnostic. Pourtant dans le crime des sœurs Papin, on
a l’impression de se heurter à un crime sans motif, sans préméditation. Des pièces
manquent, il y a des surcharges sur les 117 pièces du dossier. Et l’on peut croire
quand on y regarde de près, à une erreur judiciaire, à une machination. Pour lui,
les sœurs Papin ont commis ce crime, mais pas de la manière dont elles ont avoué.
Il nous a même dit à un moment donné qu’il avait douté de la réalité du crime.
Les choses vont quand même très loin, quand on regarde les pièces. Douter de
la réalité d’un crime, ce n’est pas banal. Ici, il s’agit de la réalité du crime de
deux femmes, mais on peut retrouver ce phénomène dans un crime contre
l’humanité comme la Shoah ou d’un crime contre la vie comme Hiroshima16.
Heidegger 17, dans « De l’essence de la vérité », nous dit que nous voulons
la « vérité » réelle pour avoir une mesure et un point d’appui. Nous avons le souci
de la vérité. La vérité est ce qui constitue le vrai comme vrai, le vrai comme
réel (wirklich). Quand nous disons que c’est une vraie joie de collaborer à une
entreprise, nous voulons dire par-là que c’est une joie pure, réelle. La chose est
en accord avec ce qu’elle est estimée être (stimuli). Cela convient, ça colle. La
définition traditionnelle de l’essence de la vérité, c’est donc veritas est
adaequatio rei et intellectus. La vérité est l’adéquation de la chose à la connais-
sance. C’est aussi l’adéquation de la connaissance à la chose. S’agissant de
psychopathologie, de clinique, c’est le problème que pose la recherche de la
vérité dans un crime comme celui des sœurs Papin. Ce ne sont pas les hypothèses
diagnostiques qui manquent.
La démarche des deux sœurs à la mairie, à la fin de l’été 1931 pour obtenir
l’émancipation de Léa est pour Lacan la seule trace de formulations d’idées
délirantes antérieures au crime. Francis Dupré, c’est-à-dire Jean Allouch, Erik
Porge et Mayette Viltard, réfutent une pathologie de persécution. L’expertise
néglige le fait que l’énonciation de Léa ait lieu après le passage à l’acte. Gérard
Gourmel nous avait dit que ce crime « était un crime » pas possible « Tout le
dossier ne fonctionne que par des aveux. Que signifient les aveux? Il y a des
doutes. C’est un crime sans témoin. Ce n’est pas le seul. Où est la vérité dans
ce crime? Où est la vérité dans un crime? La vérité du crime des sœurs
Papin est-elle psychopathologique ? Le psychopathologique dit-il la vérité ?
L’adéquation de la chose à la connaissance, pour reprendre la définition de la
vérité pour Heidegger, semble difficile dans le cas des sœurs Papin. Que faire
de ce que Léa dit devant le commissaire lors des premiers interrogatoires : “Je
suis sourde et muette” ?» 18
L’Ami du Peuple 19 déclare : « On veut expliquer tous les crimes. Il y en a pourtant qui ne s’expliquent pas. On les constate et c’est tout ». Comme le dit Gérard Gourmel 20 : « Depuis 1933 psychiatres et psychanalystes sans exception presque, concluent à la psychose. Seule la détermination varie désormais, dans une triade, paranoïa, schizophrénie, délire à deux » Gérard Gourmel essaye de dénuder la fabrique de l’histoire. Et quand on sait que les deux gardiens de la paix qui sont venus le 2 février 1933, 6 rue Bruyère au Mans, s’appellent Ragot et Vérité, on croit rêver. La réalité dépasse la fiction. »
L’Ami du Peuple 19 déclare : « On veut expliquer tous les crimes. Il y en a pourtant qui ne s’expliquent pas. On les constate et c’est tout ». Comme le dit Gérard Gourmel 20 : « Depuis 1933 psychiatres et psychanalystes sans exception presque, concluent à la psychose. Seule la détermination varie désormais, dans une triade, paranoïa, schizophrénie, délire à deux » Gérard Gourmel essaye de dénuder la fabrique de l’histoire. Et quand on sait que les deux gardiens de la paix qui sont venus le 2 février 1933, 6 rue Bruyère au Mans, s’appellent Ragot et Vérité, on croit rêver. La réalité dépasse la fiction. »
RAGOT ET VÉRITÉ
Comme le remarque Gérard Gourmel 21 dans son chapitre « Soleil noir »,
« L’année 1933 décrétée sainte par Pie XI, le 30 janvier Adolf Hitler avait été
appelé à la chancellerie du Reich. Le parti nazi que quelques observateurs
éclairés tenaient pour une incarnation d’une psychose d’angoisse, maîtrisait
l’Allemagne.» Le Reichstag brûle la nuit du 27 février et le 21 septembre
s’ouvre le procès des incendiaires. C’est contemporain du crime des sœurs
Papin. Peut-on dire que la vérité d’un événement historique est psychopatho-
logique? Peut-on dire qu’un événement psychopathologique est aussi
historique ? Quelle est la part de vérité entre l’Histoire, le psychopathologique,
le clinique, dans un événement ? La psychanalyse à l’Université ne peut pas dire
la vérité, et elle ne le doit pas, mais elle peut la rechercher. Elle est un crime
de lèse-majesté parce que le sujet de l’inconscient fait douter de ce qui se
présente comme Vérité. La psychanalyse n’est pas que dans les institutions
analytiques et les cabinets d’analystes. Elle est aussi dans l’histoire et la société,
voilà pourquoi elle est aussi à l’Université. Sa présence n’est pas un crime.
L’Histoire est sans dessus dessous depuis la chute du mur de Berlin. Berlin
est elle-même une ville sans dessus dessous, toujours en chantier, comme le
montre si bien Régine Robin22 dans Berlin Chantiers et dans La mémoire
saturée. Berlin est psychotique, les sœurs Papin sont psychotiques. On a tout
dit et on n’a rien dit. Un événement historique ne peut pas être qualifié
uniquement sur le plan psychopathologique, voilà pourquoi je parlerai volon-
tiers de trauma individuel, mais je me demande vraiment si l’on peut parler de
trauma collectif, et je préfère dire trauma historique, ce qui va avec la chute
d’idéaux.
Les sœurs Papin cachent un événement historique, la montée du nazisme,
quasiment contemporain, et aucun des psychiatres et psychanalystes n’en parle.
Un crime peut en cacher un autre. Christine à l’orphelinat perd son prénom
d’usage, nous fait remarquer Gérard Gourmel. Elle sera Clémence, son troisième
prénom, jusqu’à 15 ans. Clémence, c’est la mère qui mettra en garde les sœurs
contre une séquestration dans un couvent. Aujourd’hui on estampille le cas
Christine Papin de schizophrénie 23. Pourtant à Rennes, le diagnostic appuyé sur
le tableau clinique, faisait plutôt penser à la mélancolie. L’hypothèse d’une
psychose réactionnelle est écartée. Tout suppose l’antériorité d’une faille au
crime. Et pourtant pour Gérard Gourmel, cela ne peut pas être un crime de
schizophrène ou de mélancolique, si pendant 24 mois coexistent rue Bruyère
deux personnalités psychotiques.
Le Tea Follies où j’ai rencontré Gérard Gourmel, ne se trouve pas loin de
la rue La Bruyère, mais à Paris, pas au Mans, c’est le nom de la scène du crime.
Et Gérard Gourmel 24 de conclure : « Si deux entités morbides distinctes s’étaient
enchâssées l’une dans l’autre, incubées par le milieu. Si l’apport persécutif du
délire à deux tenait à la cadette, réplique de sa mère, plutôt qu’à une forme
paranoïde de schizophrénie chez l’aînée. » Si on discerne une paranoïa chez
Léa, elle visait sans doute Christine et pas Mme Lancelin et sa fille.
Christine meurt le 18 mai 1937 à Rennes, et Léa s’installe à Nantes avec sa
mère après sa levée d’écrou le 2 février 1943, en pleine guerre. Elles avaient
été placées par leur mère chez Mme Lancelin. Gérard Gourmel nous avait dit :
Comment se fait-il que M. Lancelin soit allé aussi vite avertir la police, et
pourquoi est-il rentré plus tôt que prévu chez lui ? Que s’est-il passé dans le
crime des sœurs Papin? Un passage à l’acte dans une psychopathologie ou
alors le tragique d’une vérité qui nous échappe ? Raison de plus de faire de la
recherche en psychanalyse à l’Université et s’y employer avec doute et méthode.
C’est une visée, nous ne l’atteignons pas même si nous donnons des repères
psychopathologiques et cliniques avec le modèle de la psychanalyse, à nos
étudiants. Le diagnostic n’est qu’une hypothèse. Il peut y en avoir d’autres. La
clinique est vivante, et en fonction des circonstances, les hypothèses diagnos-
tiques peuvent changer. D’ailleurs psychiatrie et psychanalyse retiennent des
sœurs Papin, un cas d’école de délire à deux. Le Dr Logre pensait que la forme
était induite par l’aînée, Jacques Lacan l’introduit en 1933 sous une forme
simultanée, et 50 ans plus tard Jean Allouch, Erik Porge, Mayette Viltard y
voient une double forme, induite par Christine chez Léa, et simultanée entre
Clémence Derré et Christine.
Jean-Paul Lauzel voit dans les sœurs Papin un des très rares mythes de notre
époque.25 Il y a en effet un destin culturel, théâtral et cinématographique qui
fait partie du cas, par exemple au théâtre Les Bonnes de Jean Genet 26, au cinéma
Les Abysses de Niko Papatkis27, La ligature de Gilles Cousin28, Les blessures
assassines de Jean-Pierre Denis 29, La cérémonie de Claude Chabrol, adapté du
roman de Ruth Rendell30 L’analphabète, enfin Le diable dans la peau, un
roman de Paulette Houdyer30.
Comme le dit Gérard Gourmel 32 dans son livre La souricière : « Des années
durant, j’ai ainsi vu des hommes, derrière la barre des prévenus ou dans le box
des inculpés, s’exprimant dans leur langage tandis que l’on s’évertuait à
pratiquer devant eux un autre idiome, tout aussi ésotérique, et bien sûr ces
hommes étaient-ils toujours condamnés impitoyablement ».
Concluons sur ce que dit Léa lors des premiers interrogatoires : « Je suis
sourde et muette ».
Gérard Gourmel remet en question la réalité des faits dans le crime des sœurs
Papin, ce qui ne veut pas dire que l’on ne puisse pas faire d’hypothèse psycho-
pathologique pour essayer de le comprendre, celle d’un délire à deux, avec des
nuances selon les auteurs, comme nous l’avons vu. La vérité n’est donc pas dans
l’adéquation d’un sujet et d’un objet, elle est un horizon pour le chercheur qui
s’occupe de la psychanalyse, en particulier à l’université. Il ne s’agit ni de dire
que la réalité des faits n’existe pas, même si on peut en douter, ni de se fixer sur
un diagnostic qui n’est jamais qu’une hypothèse. Ce qui questionne la recherche
en psychanalyse à l’université dans le cas des sœurs Papin, c’est cette démarche
inconfortable, à la fois pour ceux qui refusent la psychanalyse, et pour ceux qui
croient savoir la vérité avec leur théorie, dans la psychanalyse.
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